- BRONZE ET FER (âges)
- BRONZE ET FER (âges)Dès l’Antiquité se fait jour la notion d’une évolution définie par l’ordre d’apparition des métaux: Lucrèce, par exemple, énonce un âge d’or auquel succèdent un âge d’airain (ou bronze) puis un âge de fer. Dès la fin du XIXe siècle, avec les premières classifications archéologiques, avec celle du Danois C. J. Thomsen en particulier, un âge du cuivre, associé à un âge d’or, est séparé d’un âge du bronze, lui-même distingué d’un âge du fer. Le problème est de savoir si une seule matière, en l’occurrence tel ou tel métal, peut être révélatrice d’une période donnée dans une région précise et comment elle le peut. L’élargissement des recherches archéologiques permet maintenant de comparer des zones géographiques souvent très éloignées présentant des situations métallurgiques assez proches: peut-on, dans ces conditions, parler, à propos de l’évolution de l’humanité, d’étapes métallurgiques, conçues comme des étapes technologiques rendues possibles par des conditions écologiques particulières et favorisant le développement d’un certain type de société? Les fouilles menées dans une optique palethnologique ainsi que les recherches de paléo-métallurgie nous fournissent quelques indications pour répondre à ces questions.L’essor d’une nouvelle discipline: la paléo-métallurgieL’intérêt pour la paléo-métallurgie va croissant; cette discipline est maintenant enseignée à l’université de Londres. Plusieurs laboratoires en France, à Nancy, à Rennes, à Compiègne et à Paris (École des mines, laboratoire des musées de France, musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, etc.) participent à l’exploration des vestiges de la plus ancienne métallurgie. Celle-ci se fait soit sur le terrain, soit en laboratoire. L’identification sur la fouille des traces de fourneaux, des fragments de tuyères, de creusets, de moules, la récupération des scories, des laitiers (matières vitreuses qui se forment à la surface des métaux en fusion), des lingots, le positionnement des outils de métallurgie tels que les marteaux, les pinces, les enclumes, certains burins, certains poinçons, amènent à reconstituer en partie l’organisation du travail des bronziers et des forgerons dans le cadre de la société protohistorique. Les analyses des laboratoires précisent surtout les différentes technologies du passé: la radiographie est utilisée pour expliquer les montages complexes; la spectrographie nous renseigne sur la composition chimique des différents métaux étudiés; la métallographie révèle la structure microscopique du métal caractéristique de sa composition de détail, du dernier traitement thermique ou physique subi par un objet et parfois de traitements antérieurs. De cette manière, l’archéologue dispose de l’histoire interne de certains objets: il peut aussi esquisser l’histoire des débuts de la métallurgie selon les différentes régions du monde.L’utilisation précoce des métaux natifsCertaines roches de couleur ont depuis très longtemps attiré l’attention des hommes: l’ocre, par exemple, qui est un oxyde de fer, ou quelques pierres bleues ou vertes, qui sont des carbonates de cuivre, azurite ou malachite. Mais il faut signaler aussi certains métaux natifs comme le cuivre, l’or, le platine et le fer météoritique. Ce sont les premiers métaux qui semblent avoir été travaillés.De petits objets en cuivre probablement natif, comme des perles, des épingles et des alènes, ont été trouvés dans des contextes néolithiques des IXe-VIIe millénaires avant J.-C., à Alikosh en Iran et Cayönü Tepesi près d’Ergani en Anatolie, par exemple. En Amérique du Nord, les cuivres natifs de la région du lac Supérieur ont été exploités dans le contexte de la old copper culture que l’on date de 3000 à 1500 avant J.-C., pour fabriquer des pointes de flèche.L’or n’apparaît dans la nature que sous forme native, en pépite dans les alluvions des rivières (or alluvionnaire) ou pris dans certains filons de roche (or filonien). Bien que facile à marteler à froid car très ductile, l’or ne semble pas avoir été travaillé aussi anciennement que le cuivre. On en trouve quelques parures au Ve millénaire avant J.-C., au Proche-Orient et en Égypte. Mais la valeur symbolique toujours attribuée à ce métal inaltérable a bien pu inciter à une récupération minutieuse. Le platine natif se présente aussi sous forme de pépites martelées, surtout en Amérique du Sud chez les Incas, en Colombie et en Équateur, mais aussi probablement en Égypte ancienne.Le fer météoritique se reconnaît par sa forte teneur en nickel (10 p. 100 environ), qui lui donne de la dureté. Il est travaillé par martelage à froid. Ce métal était certainement considéré comme précieux à l’époque préhistorique, ainsi que l’indique la liste des objets qui apparaissent au cours des IIIe et IIe millénaires avant J.-C. au Moyen-Orient et dans les pays qui bordent la Méditerranée orientale; à titre d’exemple, citons les poignards de tombes riches d’Alaça Hüyük, de Tell Asmar, d’Ur, de Thèbes (tombe de Toutankhamon), les anneaux de Kakovatos, etc. À la fin du IIIe millénaire avant J.-C., des perles en fer météoritique ornaient un bracelet de cuir retrouvé dans une tombe de Sibérie méridionale, près du mont d’Afanassievo. Les Esquimaux du Groenland septentrional recherchaient aussi, jusqu’au siècle dernier, le fer météoritique dont ils faisaient des lames de couteau.La fonte du cuivre et l’âge du cuivreLa métallurgie apparaît quand les métaux ou les minerais subissent un traitement thermique tel qu’ils sont transformés dans un but prédéterminé. L’innovation de la fonte du cuivre permet de partir du cuivre natif ou de la réduction du minerai et d’obtenir le métal relativement pur à l’état liquide qui, moulé et refroidi, prend la forme que l’artisan veut bien lui donner. Quelques scories trouvées à Çatal Hüyük en Anatolie prouveraient que la fonte du cuivre y était connue dès le VIIe millénaire avant J.-C. Cette technologie se répand, à partir de 3800 avant J.-C., à Tepe Yahya en Iran et à peu près à la même époque en Égypte; à partir de 3500 et jusque vers 2500, elle devient courante dans la zone de contact entre l’Orient et l’Occident, depuis la Turkménie et le Caucase jusqu’en Égypte en passant par la Mésopotamie, le Proche-Orient et l’Égée. Quelques centres de la première métallurgie du cuivre sont connus, à Timna au sud d’Israël, par exemple, à Ain Buna en Bulgarie, à Rudna Glava en Yougoslavie. L’île de Chypre doit son nom et sa renommée antique à son minerai de cuivre, dont on faisait des lingots exportés dans toute la Méditerranée. À proximité de ces centres importants se développent des sociétés riches: l’une des plus célèbres nécropoles de cette époque, fouillée de 1972 à 1979, est située à Varna en Bulgarie, non loin des mines de cuivre de Ain Buna; outre les outils et les bijoux en cuivre, ce sont des centaines d’objets en or qui révèlent le nouveau rôle symbolique de puissance que l’on attribue aux métaux. Dans le Caucase, la fameuse sépulture de Maïkop (milieu du IIIe millénaire av. J.-C.), avec ses objets moulés et martelés en cuivre, en or et en argent, n’est pas unique mais fait partie d’un groupe de sépultures «princières» en relation probable avec la Bulgarie et l’Anatolie (Alaça Hüyük).Après 3000, la métallurgie du cuivre, dans lequel on trouve des traces plus ou moins importantes d’arsenic, se répand dans dessociétés encore modestes mais hiérarchisées (sépultures riches qui s’opposent à des sépultures pauvres), aussi bien du côté de l’Ouest européen que du côté de l’Est asiatique. À l’ouest, nous avons évoqué les centres carpatho-balkaniques; il faut ajouter en pleine Europe centrale le groupe de Tiszapolgár et bientôt celui d’Unetice, quelques traces jusqu’en Scandinavie et enfin la Grande-Bretagne; en Méditerranée occidentale, citons l’Italie (groupe de Remedello), la France méridionale (groupes méridionaux autour de la Montagne Noire), la péninsule Ibérique (groupe d’El Argar au sud et façade atlantique de la Péninsule) et bientôt, dans la seconde moitié du IIIe millénaire avant J.-C., quelques objets répandus en Afrique du Nord attestent de la diffusion de la connaissance métallurgique. À l’est, l’Asie centrale (groupe d’Anaou-Namazga) en liaison avec l’Iran (Sialk II-III) connaît le cuivre depuis la fin du Ve millénaire avant J.-C.; il ne semble pas qu’il existe de relation entre ce foyer métallurgique important et les régions de l’Altaï ou de la Sibérie qui n’utilisent le cuivre qu’au IIe millénaire avant J.-C. Par contre, au sud, l’Inde du Nord, avec ses deux grandes civilisations de Harappa et de Mohenjo-Daro, a pu bénéficier d’influences venues d’Iran méridional. Les premiers cuivres moulés apparaissent vers 3000 avant J.-C., en même temps que les autres innovations qui contribuent à former ces grandes civilisations au cours du IIIe millénaire avant J.-C. En Chine, un âge du cuivre, encore mal connu et peut-être autonome, prélude aussi aux futurs grands empires. En Amérique, la fonte de l’or surtout mais aussi du cuivre est pratiquée depuis le milieu du Ier millénaire avant J.-C., au Pérou et en Bolivie, par exemple. Au Mexique, les objets en cuivre précolombiens, assez nombreux chez les Aztèques, n’étaient peut-être que martelés à partir de cuivre natif.Le cuivre et l’or sont relativement peu résistants au choc; s’ils formaient quelques outils massifs (haches et pics), ils étaient surtout utilisés comme éléments de parure, armes de parade ou vaisselles d’apparat, tous symboliques d’une nouvelle société qui adopte progressivement le métal.Le bronze et l’âge du bronzeLe cuivre et l’arsenic constituent un alliage naturel plus dur que le seul cuivre. Cette qualité a non seulement été remarquée à l’âge du cuivre, mais probablement provoquée. Le bronze est un alliage de cuivre et d’étain dont la proportion approximative est de un pour dix; le nouvel alliage est plus fluide quand il est en fusion et plus dur quand il est froid. La qualité des pièces obtenues est donc plus grande, en particulier pour les armes et les outils.L’origine de l’étain est un des problèmes les plus intéressants de la protohistoire. En effet, les gisements d’étain sont rares dans le monde; les plus riches sont situés en Malaisie, en Chine, en Bolivie, en Cornouaille, en Bohême, au Nigeria, en Espagne et en Bretagne. D’autres traces d’étain ont été signalées en Iran et en Italie, mais en moindre quantité. L’étain se présente dans les alluvions sous forme de pépites d’un minerai, la cassitérite. Ce produit est devenu une nécessité dans le développement des premiers grands empires du monde; son acheminement et sa commercialisation restent pour nous un mystère, surtout en ce qui concerne les pays du Moyen-Orient et de la Méditerranée qui furent les premiers à connaître le bronze et en firent un usage massif, sans avoir de ressources naturelles en étain. Les archéologues supposent que de grands courants commerciaux s’organisent alors à partir de 2500 avant J.-C. du côté de la Malaisie par le golfe Persique, du côté du Nigeria peut-être aussi et un peu plus tard, vers 1800 avant J.-C., du côté de la Bretagne et de la Cornouaille. Ces courants d’échange se faisaient probablement par le biais de nombreux relais, ce qui explique la confusion des informations données par les premières sources écrites. Les tombes royales d’Ur, qui datent de 2800 avant J.-C., marquent l’apparition du bronze à 8-10 p. 100 d’étain. Ce n’est pas un hasard si le contexte de cette innovation est «royal». En Égypte, le bronze à l’étain est attesté sous la IVe dynastie (vers 2600 av. J.-C.). Mais tant en Irak qu’en Égypte, le bronze n’est pas encore utilisé couramment, et les objets en cuivre éclipsent souvent ceux en bronze.C’est seulement à la fin du IIIe millénaire avant J.-C. que l’âge du bronze commence réellement. Cette étape correspond par exemple à Troie III et IV (2200-1900 av. J.-C.). Se développe alors un bronze ancien qui semble florissant dans l’Égée et en particulier à Chypre. En Europe centrale, l’évolution est la même et le bronze à l’étain s’impose progressivement au début du IIe millénaire avant J.-C. Dans le contexte de petites sociétés princières, celle du Wessex en Grande-Bretagne et celle d’Armorique en France, l’exploitation de l’étain occidental commence vers 1800-1700 avant J.-C. En Inde, le bronze est déjà attesté à la fin du IIIe millénaire dans la civilisation de Mohenjo-Daro, ce qui confirme l’exploitation des minerais de Malaisie à une date ancienne. En Chine, à partir du milieu du IIe millénaire avant J.-C., la présence d’un bronze à l’étain (parfois au plomb) coïncide avec la constitution de la dynastie Shang. En Amérique du Sud, près des gisements d’étain du lac Titicaca en Bolivie, on constate que le bronze a succédé au cuivre et qu’il s’est répandu dans les Andes et le long de la côte du Pacifique à partir de l’an 1000 de notre ère.L’âge du bronze correspond dans l’Ancien Monde à l’épanouissement des premiers grands empires, en Égypte, en Assyrie, en Inde, en Chine. La richesse que représentent les métaux précieux – or et argent – était mise en sécurité dans des trésors de temples. Les lingots de cuivre étaient stockés pour être transformés en armes par les artisans royaux; pointes de lance, poignards, épées, casques, cuirasses et cnémides reflètent l’autorité guerrière sur laquelle repose le système des empires. C’est l’époque où l’écriture permet le récit des premiers événements politiques et en particulier des guerres, qui prennent une ampleur non encore égalée. La vie de l’âge du bronze est donc très hiérarchisée et bien organisée: la ville construite autour de grands palais ou de temples comprend des magasins de stockage, des quartiers d’artisans, des quartiers de fonctionnaires (scribes, comptables, légistes...). Or, à la religion néolithique, dominée pense-t-on par une «déesse-mère», succède une religion plus complexe aux dieux masculins souvent agressifs. Le roi conquérant est lui-même le représentant du dieu. D’autres sociétés de l’âge du bronze sont plus rurales; c’est le cas des peuples vivant en Europe occidentale dans des villages dont quelques-uns sont fortifiés.Le fer et l’âge du ferUne nouvelle étape, le plus souvent historique, est franchie avec l’utilisation courante du fer terrestre: celui-ci est plus difficile à obtenir que le bronze car, après la réduction partielle du minerai qui forme une loupe au fond du fourneau, il faut cingler celle-ci avec de fortes masses pour en sortir des fragments de métal rassemblés en lingot; il faut ensuite remarteler ce fer dans des conditions physiques et thermiques tout à fait précises pour mettre en forme l’objet voulu et lui donner les qualités indispensables à son utilisation; il faut en particulier réintroduire par cémentation une faible teneur en carbone pour aciérer le fer et le rendre plus dur. Les conditions technologiques de cette nouvelle métallurgie apparaissent entre 1500 et 1000 avant J.-C. dans une région qui va de l’Anatolie à l’Iran. En cinq siècles, la connaissance de la métallurgie du fer se répand en Europe, en Asie et dans une partie de l’Afrique. Au XIe siècle avant J.-C., les Philistins possèdent le fer, les Phéniciens le diffusent probablement jusqu’à Carthage; de là il parvient au Nigeria, où il est connu vers 400 avant J.-C. Les Grecs et les Égyptiens l’utilisent depuis le IXe siècle avant J.-C. L’Europe centrale (culture de Hallstatt), l’Italie, la France, la péninsule Ibérique possèdent le fer dès le VIIIe siècle avant J.-C. La Scandinavie et la Grande-Bretagne le découvrent vers le Ve siècle avant J.-C. À l’est, l’Inde et la Chine le possèdent à peu près à la même époque. La Chine acquiert même, à la fin du Ier millénaire avant J.-C., la technologie de la fonte du fer, redécouverte en Occident au XVIe siècle de notre ère. Au sud, si à la suite de l’Égypte le Soudan connaît le fer vers 200 avant J.-C., celui-ci se répand ensuite en Afrique centrale et orientale. Vers l’an 500 de notre ère, les Bantous transmettent la métallurgie du fer depuis le Nigeria jusqu’en Afrique du Sud. En Amérique, le fer est arrivé avec les Européens.Comment peut-on expliquer que la connaissance de la métallurgie du fer se soit si rapidement diffusée? D’abord, le minerai de fer est largement répandu et ne pose pas les redoutables problèmes de récupération que posent cuivre et étain. Ensuite, les qualités du fer, quand celui-ci est bien travaillé, sont supérieures à celles des autres métaux, surtout pour les armes et en particulier les épées. Or on constate qu’une partie de la diffusion du fer est due à des guerriers cavaliers; le cheval monté a été une terreur pour le monde antique de la fin de l’âge du bronze tant au Proche-Orient qu’en Europe occidentale. Le fer a favorisé l’épanouissement de petits peuples guerriers tels que les Scythes, les Thraces et plus tard les Celtes, tentés par le pillage des riches contrées du Proche-Orient et de la Méditerranée. D’autres peuples, comme les Étrusques, les Ligures, les Ibères, bénéficient aussi du nouvel ordre économique auquel participe le fer et dans lequel domine une certaine autonomie fondée sur une vie agricole et surtout pastorale: c’est l’époque où le sel exploité à Hallstatt (Autriche), dans la vallée de la Seille (Meurthe-et-Moselle) ou à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques) devient une denrée précieuse liée à un type d’élevage extensif. Le village fortifié annonce l’oppidum celtique de la culture de La Tène ou le castro ibérique de la fin du Ier millénaire avant J.-C. Le fer y joue un rôle non seulement au niveau des armes, mais aussi au niveau de la vie quotidienne (chenets, outils à feu, clous de charpente, etc.). Il faut noter que les religions de ces peuples sont très diverses mais qu’elles font souvent intervenir des dieux guerriers. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs connues par des textes anciens contemporains; il en est ainsi de la religion celtique. L’Empire de Rome est fait de la conquête de ces peuples. Cette approche paléo-métallurgique de l’âge des métaux souligne la fécondité d’une confrontation entre l’archéologie et les débuts de l’histoire.
Encyclopédie Universelle. 2012.